Je lui ai écrit comme si j’avais écrit une lettre à Enrico Caruso, en espérant que cette fois-ci il me réponde. Et il m’a répondu, heureux qu’en Roumanie il y a encore une personne qui l’a découvert. Nous sommes si peu nombreux… Les premiers DVD avec des spectacles d’opéra sont apparus il y a environ 15 ans et en Roumanie ils ont été accessibles depuis le début des années 2000. On n’a pas eu ici une époque du LaserDisc. C’est ainsi que j’ai pu regarder des spectacles du Teatro alla Scala ou du Metropolitan Opera. Et que j’ai pu voir les trois ténors chanter dans des spectacles d’opéra. Au fur et à mesure que je découvrais la beauté de ces spectacles, j’ai voulu apprendre plus de choses. Si j’étais tout ému devant la télé en regardant la carrière d’Angela Gheorghiu (quelle belle Traviata!), j’ai vite découvert d’autres artistes lyriques roumains qui avaient chanté avec succès sur les grandes scènes du monde. Par exemple, Ileana Cotrubaș.
En fouillant l’Internet, j’ai découvert le site d’un passioné d’opéra des États-Unis. C’était un ingénieur mécanique d’aviation, à la retraite pour des raisons de santé. Cet ingénieur, Michael Richter de son nom, écrivait des chroniques d’amateur sur les spectacles d’opéra qu’il avait vus à la télé, sur des cassettes VHS, des LaserDisc ou des DVD. Et il avait recueilli toutes ces chroniques dans un document organisé selon les critères des ingénieurs: Opera on Video. Je l’ai lu presque sans m’arrêter, il contenait des centaines de spectacles commentés, avec tous les noms célèbres de l’opéra. Voilà comment j’ai découvert qu’il existe un Don Carlo du Metropolitan, dans lequel le rôle titulaire est interprété par un certain Vasile Moldoveanu. Et puis un Il Tabarro, où Luigi est le même Vasile Moldoveanu. Et un Simon Boccanegra, où Gabriele Adorno est le même mystérieux Vasile Moldoveanu. Malheureusement, Don Carlo et Il Tabarro étaient indiqués comme des transmissions télévisées (des télécasts) et Simon Boccanegra était un LaserDisc. Aucune chance de les trouver…
J’ai attendu presque dix ans depuis, en sachant qu’un jour viendrait quand je verrais ces spectacles.
En 2010, j’ai trouvé le DVD avec Simon, de Deutsche Grammophon, disponible dans le foyer de l’Athénée Roumain. J’avais vu récemment, à Francfort, une production moderne de cet opéra, avec Željko Lučić dans le rôle du doge, et j’avais compris la beauté du rôle de Gabriele Adorno, interprété dans ce spectacle par un ténor coréen, Alfred Kim. Après le CD de 1977, de Claudio Abbado, où Adorno est José Carreras, je pourrais même dire que c’est l’un des meilleurs rôles de ténor écrits par Giuseppe Verdi.
Et quelle surprise de découvrir Vasile Moldoveanu dans ce même rôle! Je n’avais aucune idée de sa voix et même j’avais un peu peur d’entendre un heldenténor comme Ludovic Spiess, qui chante toutes les notes comme il faut et rien de plus. Mais… j’ai eu l’impression de voir Franco Corelli, réincarné! Une si belle voix de ténor lirico-spinto, qui avait quelque chose de Richard Tucker dans le régistre moyen, mais aussi un aplomb à la Corelli, claire. Là, je suis devenu fan de cette voix. En même temps, j’ai été furieux de ne pas l’avoir découverte plus tôt.
Les DVD avec Don Carlo et Il Tabarro ne sont sortis qu’en 2011, et je ne les ai vus que très récemment. Absolumment superbes. Mais j’ai déjà écrit sur ce sujet, dans l’article Tripticul lui Vasile Moldoveanu.
À propos de cet article du blog, j’ai cherché sans succès des photos sur l’Internet. Oui, il y a les deux photos officielles de Don Carlo et de Simon, puis il y a les photos en noir et blanc du livre de Mme Ioana Diaconescu, mais elles étaient insuffisantes pour mon enthousiasme. Donc, j’ai fait moi-même quelques captures d’images sur les DVD et j’en ai choisi et publié les plus belles.
Filippo: Tu resti in mia regal presenza e nulla ancora hai domandato al Re?
Rodrigo: Accetto, e non per me.
Voilà l’histoire de cette interview, avec le plus grand ténor roumain. J’ajoute le fait que sa voix a gardé la beauté du timbre même dans son parler, en enveloppant les mots dans un léger vibrato produit, peut-être, par l’émotion de parler sa langue maternelle, qu’il parle comme s’il n’avait jamais quitté la Roumanie. Dans cette voix, j’ai décovert un homme d’une modestie presqu’inimaginable. Vasile Moldoveanu a été un professionnel de l’opéra, qui a respecté son art comme un métier rare. La contemplation et la réflection sur son positionnement envers l’Opéra comme art et comme institution de la civilisation d’origine européenne sont venues avec le temps. Mon interlocuteur, qui est maintenant sorti de la zone active de sa carrière – sur scène -, peut dire, avec la perspective donnée par 11 saisons au Metropolitan, que l’Opéra est le miroir d’un pays. Pour mieux comprendre cette affirmation, je vous invite à lire la suite…
L’Artiste de l’Est
Despre Opera: Vous avez quitté la Roumanie suite à une invitation faite par un impressaire, pour aller chanter en Allemagne. Quand avez-vous décidé de ne plus revenir? Vous y aviez pensé avant? Étiez-vous conscient de votre valeur, étiez-vous sûr de votre réussite ou vous auriez pu changer de carrière dans le cas contraire?
Vasile Moldoveanu: Tout d’abord, vous devez savoir que je n’ai pas été membre du parti communiste et cela m’a posé plein de difficultés en Roumanie. Pour la même raison, il m’était presque impossible de partir chanter à l’étranger, car je ne pouvais pas obtenir le visa sans l’accord des autorités roumaines. J’avais pris la décision de quitter la Roumanie depuis longtemps, avant de recevoir l’invitation de Friederich Paasch. Je m’étais dit que, si jamais j’arrivais à chanter dans l’Occident, je ne reviendrais plus en Roumanie.
Une autre chose que vous devriez savoir est que, en Allemagne, il y a beaucoup de théâtres d’opéra, quelques centaines, de niveaux artistiques différents. À ce moment-là, il n’y avait que quatre opéras de niveau international – à Hamburg, Münich, Stuttgart et, bien sûr, à Berlin. Si je n’arrivais pas à avoir un succès international, j’aurais pu avoir une vie décente en chantant dans un opéra plus petit, dans une ville de province. Mais j’avais confiance en moi, j’étais invité pour des auditions en Allemagne et à Vienne. Et dans un délai très court, après deux ans (j’étais parti en 1972), en 1974, je suis arrivé à l’opéra de Stuttgart, dont le directeur était Wolfgang Windgassen, le grand ténor wagnerien de l’Allemagne. Et il voulait rompre avec la tradition de cet opéra, où, depuis des dizaines d’années, le répertoire était exclusivement allemand. Windgassen voulait y introduire l’opéra italien, La bohème, Manon Lescaut, et c’est ainsi que je suis devenu intéressant pour eux, dans ce projet. C’était le point de départ de tout le reste. Comme à Stuttgart j’avais un régime extraordinaire – j’avais un contrat qui m’obligeait à y chanter 4-5 fois par an, mais j’étais payé pour toute la saison -, je pouvais aller chanter sur beaucoup d’autres scènes. C’est ainsi que j’ai chanté à Münich dans une production de Roman Polansky et c’est de là que mon carrière du Metropolitan a commencé, après un Don Carlo à Münich…
Pour revenir au communisme, je dois vous dire aussi que, une fois condamné à mort pour avoir fui la Roumanie, je ne pouvais plus revenir dans mon pays. Dix ans après mon départ, mon père m’a dit avoir lu dans un journal que j’avais été gracié et que je pouvais venir le voir. Mais le journal n’avait pas publié l’information complète: en fait, ma peine de mort avait été transformée en condamnation à un certain nombre d’ans de prison. J’ai décidé de ne pas venir à ce moment car je n’ai pas fait confiance à cette information et j’ai bien fait, car j’aurais été emprisonné. Mais je ne veux pas trop parler de ces choses-là, ça me fait mal de m’en souvenir…
Despre Opera: Dans les années ’70-’80, avez-vous rencontré des artistes roumains? Qu’est-ce qu’ils vous racontaient sur la situation en Roumanie? Pourquoi il n’y a pas eu plus d’artistes qui décident de rester dans l’Occident?
Vasile Moldoveanu: Je vous dis franchement, je n’ai pas rencontré beaucoup d’artistes roumains et j’ai parlé très peu avec eux. Oui, avec Tumageanian ou avec Ileana Cotrubaș, mais ils passaient plus de temps à l’étranger qu’en Roumanie.
Pourquoi il n’y a pas eu plus d’artistes émigrés vers l’Ouest? Je ne peux pas vous donner une réponse tranchante et je ne peux pas parler pour les autres. Tout ce que je peux vous dire c’est que, au moment où je suis venu à Bucarest, comme employé à l’Opéra National, on m’a offert un logement qui ressemblait à une cabane dans la campagne, avec la toilette au fond de la cour: „C’est tout ce que l’on peut vous offrir pour le moment…”. Vous comprenez? Du point de vue matériel, je n’avais pas grand chose à perdre. Peut-être d’autres artistes, avec une carrière solide en Roumanie, avait beaucoup à perdre s’ils partaient, car ici, en Occident, il y a un autre rythme. La vie est chère, il faut travailler énormément pour pouvoir vivre.
Despre Opera: Avez-vous eu des partenaires roumains sur scène, à cette époque-là?
Vasile Moldoveanu: Pas beaucoup. J’ai chanté avec Maria Slătinaru dans Tosca, avec Eduard Tumageanian dans I Vespri siciliani et c’est tout, si je me rappelle bien.
Despre Opera: Avez-vous jamais parlé avec Stella Roman ou Beverly Sills ou Richard Tucker? Ils avaient des origines roumaines, si vous les avez rencontrés, en avez-vous parlé? Comment se sont-ils conduits?
Vasile Moldoveanu: Tout d’abord, Tucker était déjà mort quand je suis arrivé au Met. Vous savez, là, à New York, il y a une place qui porte son nom. Je ne savais pas que Beverly Sills avait des origines roumaines. Elle chantait plus au New York City Opera, et moins au Metropolitan. Je n’ai jamais parlé avec elle, mais je suis allé la voir dans un spectacle et je peux vous dire que j’ai beaucoup aimé sa voix, elle était une soprano excellente. Stella Roman s’était retirée depuis longtemps, bien sûr, j’en avais entendu parler, car elle avait été la partenaire de scène de Martinelli, de Björling, comment ne pas la connaître? Mais, croyez-moi, je ne savais pas qu’elle vivait encore.
Une artiste roumaine que j’ai rencontrée est Virginia Zeani, une grande soprano, je pense que vous la connaissez. Par exemple, elle a fait une Traviata extraordinaire. Elle était mariée avec un grand artiste, peut-être le plus grand basse italien, Nicola Rossi-Lemeni. Mais, quand je l’ai recontrée, son mari ne chantait plus, il s’était retiré. Oui, je l’ai recontrée aux États-Unis, elle s’y était établie.
Despre Opera: Entre le Metropolitan Opera et l’Opéra National de Bucarest il y a une différence presqu’impossible à quantifier. Mais, qu’est-ce qui pousse les Américains vers l’opéra? Qu’est-ce qui manque à l’Opéra de Bucarest ou aux opéras des autres villes roumaines pour attirer le public? Que peut-on faire dans ce sens, dans les conditions où l’argent manque?
Vasile Moldoveanu: Qu’est-ce qui manque… En Roumanie il n’y a pas une culture du mécénat. Il n’y a pas de sponsoring, comme il y en avait au Metropolitan. Mais c’est un problème de la politique, qui n’encourage pas le mécénat. Parmi les hommes politiques d’aujourd’hui, il n’y a aucun qui soutienne l’Opéra. Ce n’est pas bien et c’est très triste. Un exemple: à part le financement de la Fondation Rockefeller, que tout le monde connaissait, il y avait beaucoup de contributions privées. Par exemple, il y avait une dame, Sybil Harrington de son nom, qui donnait des sommes considérables au budget du Met. Un jour, lors des répétitions, elle est venue dans les coulisses et a observé que le grand rideau jaune avait quelques taches. Le personnel administratif a commencé à s’agiter et à dire qu’ils allaient le nettoyer, qu’il serait comme neuf pour la première, mais Mme Harrington les a arrêtés tous d’un seul geste fait vers le rideau: „Non, nous allons changer de rideau!”. Et elle a payé une somme énorme pour cela, car le rideau était immense, avec un tissu et des ornements très chers. Mais, dans son amour pour ce théâtre, elle a payé un nouveau rideau. Dans le même régistre anecdotique, je peux vous dire que cette dame était complètement amoureuse de l’art de Franco Zeffirelli – ainsi, elle a payé 3 ou 4 de ses productions. Et je pense que vous le savez, Franco Zeffirelli est un metteur en scène très cher, ces productions ont coûté les yeux de la tête, des millions de dollars!
Eh bien, pouvez-vous imaginer une telle situation en Roumanie? C’est presqu’inconcevable, car il n’y a pas la mentalité nécessaire, il n’y a pas cette culture de l’acte du mécénat. Ce qu’il y a c’est l’indifférence, et cette indiférence affecte tout le monde, les artitstes aussi. Je le vois aujourd’hui. En Roumanie on a gagné la liberté, ce qui est extrêmement important. De mon temps, tout le monde voulait partir à l’étranger, faire une carrière, faire bouger les montagnes! Mais de nos jours, à cause de ce manque d’intérêt, intérêt que l’État doit à l’Opéra comme institution représentative du pays, tout enthousiasme disparait et il aparait cet ennui que j’observe même chez les jeunes gens, qui viennent de sortir du Conservatoire…
Cher Monsieur, l’Opéra est le miroir d’un pays! Abandonner cette institution c’est renoncer à une partie de la civilisation de son pays.
La musique et les rêves
Despre Opera: Quels sont les ténors que vous aimiez au moment où vous avez compris que vous alliez devenir un vrai soliste, sur scène? Et plus tard, quand vous étiez déjà au Metropolitan, quels ténors avez-vous admirés au long de votre carrière?
Vasile Moldoveanu: J’ai adoré Corelli, comme vous, comme tout le monde, del Monaco, di Stefano, que j’ai connu personnellement, il est venu en Roumanie. J’ai aimé Placido, avec sa musicalité, Luciano (Pavarotti n.n.), je les ai tous connus, je les aimais, je les admirais… Plus tard, quand je les ai rencontrés, on échangeait les spectacles, vous savez? Ils faisaient 2-3 représentations, puis je prenais leur place et j’en faisais quelques-unes, puis c’était de nouveau leur tour… Et je parlais avec eux, c’étaient des gens de qualité. Corelli était déjà parti quand je suis arrivé au Met, c’était quelqu’un de très nerveux et il s‘est retiré assez tôt de la scène. Je me croyais le plus nerveux, mais Corelli était encore plus nerveux. (il rit n.n.)
Carlo Bergonzi – je l’ai rencontré personnellement. Une fois au Met et une fois lors d’un gala à Vienne, je ne me rappelle plus exactement. Bergonzi était un professeur sur scène, il faisait une phrase extraordinaire, c’était un homme cultivé. Mais je n’ai pas aimé la qualité de sa voix, je suis sincère, on peut aimer ou ne pas aimer quelque chose. J’aimais les voix de grande qualité, comme Corelli, del Monaco, di Stefano, Jussi Björling… Jussi Björling! Je l’ai beaucoup aimé.
Despre Opera: Quand je vous ai écouté pour la première fois, dans Simon Boccanegra, j’ai eu l’impression que votre timbre ressemblait à celui de Corelli.
Vasile Moldoveanu: Je sais, tout le monde me comparait à Corelli ou Martinelli. Il y a, probablement, certains sons qui se ressemblent, parfois le timbre de la voix, la position dans laquelle on chante etc. Peut-être que j’étais plus proche de lui que des autres. Il y en avait qui me disaient que je ressemble à Björling, chacun avec son oreille.
Despre Opera: Avez-vous refusé un rôle important? L’exemple typique est Otello – mais j’ai écouté un enregistrement avec Giuseppe di Stefano, le genre de ténor lyrique qui évite ce type de rôle. Il ne l’a pas chanté longtemps, mais il l’a essayé et ça s’est bien passé. Pavarotti aussi l’a chanté une fois. Y a-t-il eu d’autres rôles que vous avez refusés?
Vasile Moldoveanu: Peut-ȇtre, mais moi, j’avais aussi des conseillers. Lors de la première avec Manon Lescaut, en Europe, à Stuttgart, le metteur en scène était Giancarlo del Monaco. Son père vivait encore, Mario. Et il est venu dans la salle, on a mangé ensemble et il m’a dit une chose: „Vasile, fais attention, si tu commences à chanter Otello, c’est pas bien. J’ai fait cette erreur et j’ai dû renoncer à trois quarts de mon répertoire, je ne pouvais plus chanter autre chose.” C’est une tessiture de baryton, on force. Peut-ȇtre que Domingo, avec sa musicalité et son intelligence, il a réussi, mȇme s’il n’avait pas la voix adéquate pour Otello quand il a commencé à le chanter. J’ai eu peur, je vous le dis sincèrement… Je chantais beaucoup Manon Lescaut, Tosca, La bohème, j’aurais dû tout arrêter après Otello. Au revoir Turandot, au revoir Tosca… C’étaient les rôles que je chantais le plus souvent, avec beaucoup de succès…
Oui, Mario del Monaco n’avait pas de rival dans ce rôle, il était extraordinaire! Mais j’ai parlé aussi avec sa femme, elle était à Monaco, professeur de canto, et elle m’a dit la même chose: „Fais attention avec Otello! Otello… il faut être trop passioné pour cet opéra pour le chanter, car tout le répertoire des aiguës disparait… „
J’ai renoncé. Avec ou sans Otello…
On m’a proposé aussi Lohengrin, mais j’avais d’autres exemples de ténors qui avaient chanté Lohengrin et puis rien d’autre. C’étaient ces deux rôles, Wagner et Otello, mais j’ai refusé en disant que je suis ténor lyrique, je ne chante pas Wagner…
Don Carlo
Despre Opera: Comment voyez-vous le personnage? Avez-vous eu des révélations en lisant la partition et le livret de cet opéra? Au-delà des détails techniques, qu’est-ce qui vous a impressioné dans ce personnage?
Vasile Moldoveanu: J’ai adoré ce rôle depuis le début et j’ai eu la chance d’avoir autour de moi des gens qui m’ont très bien guidé. J’ai fait le rôle à Hambourg, dans la mise en scène de Jean Pierre-Ponelle, qui était un rêveur, il m’a très bien dirigé. Et, du point de vue musical, j’étais très bien préparé par Kubelik, pour la version en cinq actes, avec Fontainebleau. Tout cela fait que le Metropolitan m’a proposé un contrat sur cinq ans après le premier Don Carlo que j’ai chanté sur leur scène.
Au début, je suis tombé amoureux de la beauté des mélodies, des phrases musicales, elles sont uniques! Et de la complexité des personnages, Don Carlo, par exemple: l’amour, l’amitié, la fidélité, en même temps vaillant et très fragile. Peut-être aussi à cause de son âge: à 19 ans, moi-aussi je tombais amoureux chaque semaine! Pour Don Carlo, on venait avec amour au théâtre, pour travailler, on l’aimait comme personnage d’opéra.
Mais il y a eu des ténors qui n’ont pas aimé Don Carlo. L’opéra est sombre et il n’est pas un cheval de bataille pour le ténor. Il chante comme un fou avec tout le monde sur scène, et, à la fin, le succès va à Posa, ou à Ella giammai m’amo, au basse, et puis il y a l’air final de la soprano, tout le monde a quelque chose, sauf le ténor. Comme ténor, on ne peut pas croire à un succès énorme avec cet opéra, mais il est si beau, qu’on oublie de penser au succès.
Despre Opera: Mais Don Carlo a un air lui-aussi, à Fontainebleau, „Io la vidi…”
Vasile Moldoveanu: Oui, c’est vrai, mais ce n’est pas Tosca, ce n’est pas Aida, ce n’est pas Turandot, c’est un air qui passe inaperçu la plupart du temps. Don Carlo est un opéra profond, je l’ai adoré.
Despre Opera: Je vous fais une confession: je préfère le DVD avec votre Don Carlo à celui avec Placido Domingo, partiellement aussi parce que les duos avec Posa sont meilleurs, vous avez Sherill Milnes comme partenaire, et il est supérieur à Louis Quilico.
Vasile Moldoveanu: Oui, Milnes était très grand. Et nous étions bons amis, cela nous aidait un peu. On s’admirait réciproquement. Il est venu en Roumanie pour un récital, dans les années ’90.
Luigi
Despre Opera: Avez-vous fait une connection entre le personnage et vos souvenirs de Constața, la vie près du port etc.?
Vasile Moldoveanu: Il Tabarro est un opéra que j’ai aimé énormément, car je me transposais, j’étais le jeune de Constanța qui visitait le port…
Évidemment, il y a une connection, les souvenirs d’enfance, mon père travaillait dans le port et il m’emmenait souvent avec lui, je me promenais sur les remorqueurs, mon père était ami avec les capitaines des remorqueurs, et moi, j’adorais ça, cette atmosphère du port. Toute l’activité de chargement et déchargement… je restais des heures entières à regarder les bateaux étrangers… Bien sûr que tout cela m’a influencé, c’est clair!
Et puis, en chantant avec Renata (Scotto n.n.), on se sublime, on essaie et on commence à être au niveau de ces grands artistes, comme elle. Elle a été une Lucia di Lamermoor unique!
Despre Opera: Même si Il Tabarro est un opéra court, dans un seul acte, Puccini a donné un contour assez détaillé aux personnages dans le livret, mais surtout dans la musique qu’il leur a écrite. Pour Luigi, les dernières touches, celles de la jalousie, de la passion, de la violence, sont rajoutées dans le duo avec Giorgetta. Dans la partie finale du duo vous avez chanté avec une telle passion et un tel „commitment”, comme disent les Américains, que l’on ne voit pas souvent sur une scène d’opéra. Le public a simplement explosé en applaudissements après „folle di gelosia”, comme pour soulager la tension dramatique accumulée pendant le duo. Comment voyez-vous Luigi ici? Qu’est-ce qui vous a poussé à chanter ainsi, pour reprendre une expression américaine, „like there was no tomorrow”?
Vasile Moldoveanu: Oui, oui, oui… Vous devez savoir que c’est d’une difficulté extrême… C’est un rôle très difficile du point de vue vocal… Constanța a eu, peut-être, une influence… Il y a eu quelque chose dans mon âme, ça, c’est clair. Vous savez, au Met, on ne m’appelait plus Vasile, mais Luigi.
Mais ça dépend aussi du public, du soir… Je chantais avec toute mon âme, c’est clair, mais Domingo aussi chantait avec beaucoup de sentiment, c’est la raison pour laquelle il est si apprécié. Luciano avait cette voix superbe, mais il était plus froid sur scène. Le physique ne l’aidait pas, il avait grossi dernièrement, mais sa voix était superbe, ses spectacles étaient extraordinaires. J’ai vu Un Ballo in maschera avec Pavarotti, Nucci et avec Aprile Millo et sa voix avait l’intensité d’une trompette, elle dépassait l’orchestre, on l’entendait partout, distincte, claire, lumineuse, solaire. Domingo avait, lui-aussi, une voix très belle, timbrée, mais il n’avait pas ce soleil que Pavarotti avait dans la voix, aucun d’entre nous n’a eu ce soleil…
Gabriele Adorno
Despre Opera: Qui est ce Gabriele Adorno?
Vasile Moldoveanu: Pour être sincère, j’ai chanté Simon Boccanegra plus tard. Je pense qu’il a été l’avant dernière première au Met, avant Madama Butterfly. Avec la mise en scène de Tito Capobianco, qui avait été acteur à Hollywood. Là, il remplaçait un grand acteur, George Mistral, quand Mistral jouait avec Maria Felix. Capobianco a quitté le cinéma et est devenu metteur en scène d’opéra. Mais je n’ai pas eu de grandes affinités avec Simon Boccanegra, je ne l’ai pas senti, à vrai dire. J’aimais la musique, elle est superbe! J’ai aimé un air, un duo, mais cet opéra n’a pas eu pour moi la profondeur d’un Don Carlo.
Et puis, je suis tombé amoureux du vérisme. J’ai commencé avec Manon Lescaut, Il Tabarro, La bohème et je suis tombé amoureux de la beauté des phrases, le verisme transpose la réalité sur scène, c’est notre vie de tous les jours sur scène. Je chantais Cavalleria rusticana au Met, j’étais le plus heureux du monde! J’ai adoré tous ces rôles, mais le plus attachant a été Des Grieux, le plus proche de mon âme et de mon tempérament. En même temps, ce rôle a été mon plus grand succès sur scène, même s’il n’est pas enregistré sur vidéo. J’ai fait quelques enregistrements avec Des Grieux en Roumanie aussi, au Met c’était un broadcast et puis je l’ai chanté presque partout dans le monde.
Simon Boccanegra est un bel opéra, les mélodies sont belles, le spectacle est entraînant. Mais c’est le baryton qui attire toute l’attention. D’accord, Gabriele Adorno est un rôle intéressant, mais à ce moment j’étais vers la fin de ma carrière. Je l’ai chanté au Met et à Monte Carlo, mais je ne l’ai pas trop aimé.
Les années sont passées…. (il soupire, n.n)
Despre Opera: Oui, les années sont passées, mais il vous reste ces telecasts du Met, ils sont un vrai héritage, même si vous n’êtes plus en activité, vous avez ces images extraordinaires, il y a très peu d’interprètes roumains qui aient ce genre d’enregistrements. Pratiquement, je ne connais pas de ténor ou baryton roumains qui ait un DVD du Met. Pour les sopranos, il y a, par exemple, Angela Gheorghiu…
Vasile Moldoveanu: Angela Gheorghiu… quand je l’ai vue chanter j’ai senti pour la première fois dans ma vie le regret d’avoir vieilli… Elle est si belle et elle chante si bien… Elle a tout!
Quant à la reconnaissance… C’est un problème qui existe depuis longtemps en Roumanie, et qui ne va pas disparaître. Personne n’est prophète en son pays. Je ne suis pas fâché ou triste. Je ne sais pas si je méritais plus d’attention que celle que j’ai reçue.
J’ai été discret pendant 45 ans. C’était une lutte à la vie et à la mort, les critiques était féroces. Un jour, tu avais une chronique bonne dans “New York Times”, le lendemain, “New York Post” annullait complètement tout ton travail, et cela se passait avec tout le monde. Et je n’ai pas pu mener cette lutte, je n’ai pas eu la force. J’avais vécu la guerre, la misère, le communisme, quand j’ai quitté la Roumanie je n’avais pas les nerfs d’un jeune qui se bat contre tout le monde. J’étais, comme tous les roumains, un opprimé.
En Roumanie, avant 1989, le monde ne savait pas grand chose sur moi et je pense que le monde musical ne voulait pas savoir plus. J’étais condamné, cela aurait été comme s’ils avaient reconnu leur erreur…
Despre Opera: Quel ténor d’aujourd’hui vous rappelle le jeune Vasile Moldoveanu, sur la scène du Metropolitan? Je donne des noms au hasard: Kaufmann? Villazon? Calleja? Comment les regardez-vous?
Vasile Moldoveanu: Ces dernières années je me suis éloigné de l’opéra. Mais, si je pense à ce que je vois à la télé ou à ce que j’écoute dans les enregistrements, le seul avec une voix sure et avec une bonne école est Alagna. D’accord, il n’est plus très jeune, mais il est très bon.
C’est tout…
Despre Opera: Je vous en remercie! Bientôt, le 6 octobre, c’est votre anniversaire. Je vous souhaite déjà „Joyeux anniversaire!”
Vasile Moldoveanu: Merci!
Don Carlo: Fontainebleau!
Don Carlo: Dio, che nell’alma infondere
Don Carlo: Autodafe
Don Carlo: Ma lassu ci vedremo
Il Tabarro: Hai ben raggione
Il Tabarro: O Luigi, Luigi
Il Tabarro: Folle di gelosia
Simon Boccanegra: Sento avvampar
Simon Boccanegra: Vieni a mirar
Simon Boccanegra: Tu qui? Amelia!