L’Orchestre Philharmonique a oficiellement ouvert l’année 2018 avec un concert dont l’affiche était au niveau d’un pays européen. Dana Ciocârlie a conquis la presse musicale française avec l’enregistrement de l’intégrale Schumann pour piano solo (“Chocs de l’année” dans Classica), tandis que Christian Badea est inclus dans un top 10 des meilleurs DVD d’opéra, proposé par le magazine américain Opera News (avec La bohème, à l’Opéra de Malmö).
La soirée a commencé avec le poème symphonique Isis, que Georges Enesco avait laissé en esquisse en 1923, son orchestration étant complétée par Pascal Bentoiu en 1996. Le style de l’œuvre est indiscutablement lié à Œdipe, l’unique opéra d’Enesco, dont la composition avait été finalisée en 1922. Plus concrètement, un mélange subtil d’atmosphère hiératique et délicatesse érotique, mettant en valeur la beauté de la voix féminine par un chœur diaphane qui commence à chanter vers la fin de la composition. En même temps, la composition est moderne, et la mélodie est un thème moins préoccupant pour Enesco, qui joue tout sur l’exposition avec beaucoup de bon goût des couleurs des instruments appartenant à un orchestre symphonique, dans une combinaison qui peut être comparée au jeu des couleurs dans une peinture impressionniste. L’Orchestre Philharmonique a très précisément répondu aux commandes de Christian Badea et le moment a atteint son but, sans le déclarer ouvertement: préparer l’entrée en scène de la pianiste Dana Ciocârlie.

J’ai écouté plusieurs fois le Concert pour piano de Schumann à l’Aténée Roumain et beaucoup de mélomanes apprécient l’enregistrement très connu de Dinu Lipatti, de 1948. Il y a eu une époque, avant 1989, quand ce concert était présenté fréquemment et on a presque assisté à l’instauration d’une tradition assez stéreotype de son interprétation à la Chopin. Dana Ciocârlie a approché le concert très directement, d’ une main sûre, et a imposé une interprétation authentique dès les premières mesures. Sa dynamique a été excellente, ses tons forte ont alterné avec un toucher romantique émouvant quand il était nécessaire. La cadence de la première partie a été un modèle de cohérence et le dialogue fréquent avec la clarinette, impécable. Mais ce que j’ai aimé le plus a été le phrasé, très précis et concis, par lequel la pianiste a construit un vrai discours musical. Il y a eu des moments quand on avait l’impression de pouvoir superposer les paroles d’un poème sur certaines séquences mélodiques. L’orchestre a surpris par sa précision, Christian Badea a réussi à obtenir un accompagnement exact, d’une finesse que je n’ai rencontrée depuis longtemps à cet orchestre, même si le soliste a été parfois couvert. Un encore, Noveletta nr. 2, op.21, du plus connu cycle de piano solo de Schumann, a été interprété de manière exubérante et Dana Ciocârlie est entrée dans la mémoire affective du public.
La deuxième partie de la soirée a continué avec la Symphonie nr. 7 de Dvořák, qui a complété le cycle des meilleures symphonies du compositeur tchèque interprétées par Christian Badea à l’Athénnée ces dernières années. Sa vision n’a pas trop diféré de celle utilisée récemment dans la Symphonie nr. 8 et, en fait, c’est précisément ce que l’on attendait: rigueur, rythme rapide, énergie. Le scherzo de la troisième partie a été particulièrement réussi, d’une cohésion admirable. Mais, même après la pause, je ne pouvais pas m’arrêter de penser au concert de Schumann, bien que la symphonie de Dvořák ait été très bien exécutée.
L’Orchestre Philharmonique a réussi à organiser un concert qui donne de l’espoir Pour une fois, ils ont saisi l’opportunité et ont invité à Bucarest deux artistes dont le succès international avait été très récent. Cela devrait être une habitude et non pas une exception.